«Je suis convaincue que la Confédération doit assumer un rôle de leader plus fort»
Mars. 2013Maladies non transmissibles
Entretien avec Silvia Schenker. Nous avons interrogé la présidente de la «GELIKO Conférence nationale suisse des ligues de la santé» sur les tâches et le financement des ligues de santé en Suisse. La Conseillère nationale (PS, Bâle-Ville) s’est également exprimée sur l’échec de la loi sur la prévention, sur la répartition des rôles entre la Confédération, les cantons et les ONG et sur les résistances politiques face à la promotion étatique de l’égalité des chances et de la promotion de la santé.
spectra: Qu’est-ce que la GELIKO?
Silvia Schenker: La GELIKO est l’organisation faîtière des ligues de la santé. Je ne peux pas dire de toutes les ligues de la santé, car toutes ne participent pas. Nous regroupons de grandes ligues, comme la Ligue suisse contre le cancer, la Ligue pulmonaire suisse, la Ligue suisse contre le rhumatisme, l’Association suisse du diabète ou la Fondation suisse de cardiologie, mais aussi de plus petites, comme la Ligue suisse des personnes atteintes de maladies à tiques ou l’Association suisse de coeliaquie. Nous sommes ouverts à toutes les organisations qui s’engagent pour prévenir les maladies chroniques ou pour lutter contre les conséquences négatives de ces maladies. Il est judicieux que ces organisations se regroupent et travaillent en commun. Notre objectif principal est de soutenir les personnes touchées par une maladie chronique.
Dans quels domaines déployez-vous vos activités ?
Un des thèmes prioritaires des dernières années a été le travail de lobby pour la loi sur la prévention. D’une part, nous avons beaucoup œuvré au sein de la GELIKO et, d’autre part, nous avons fondé l’Alliance pour la santé en Suisse avec Santé publique Suisse pour renforcer encore, avec plus de 50 organisations nationales, le soutien à cette loi. Par ailleurs, nous nous préoccupons aussi du financement des ligues de la santé. Par exemple, certaines reçoivent des fonds de l’Assurance invalidité (AI) pour leurs prestations de conseil et de formation. Nous les soutenons pour qu’elles obtiennent une rémunération appropriée pour le travail qu’elles fournissent dans l’intérêt public. Nous recueillons les différentes aspirations des ligues et des personnes qu’elles représentent et essayons de développer une stratégie commune.
Quelle est la valeur de la prévention pour GELIKO?
Les ligues accordent la priorité au soutien de personnes déjà malades. La prévention primaire n’est donc pas leur activité principale. Mais il est presque impossible de ne pas se préoccuper de prévention lorsque l’on se confronte aux maladies chroniques. La Ligue pulmonaire suisse, par exempe, s’est fortement investie pour la protection contre le tabagisme passif. Bien entendu, toutes les ligues fournissent un travail d’information et de sensibilisation. Mais leur activité-clé reste, malgré tout, le traitement de la maladie.
Quels sont les objectifs de la GELIKO pour les prochaines années?
Après l’échec de la loi sur la prévention, nous avons dû redéfinir notre stratégie. Nous avions beaucoup misé sur l’adoption de cette loi, même si elle ne couvrait pas toutes nos aspirations. La question du financement, par exemple, n’aurait pas été entièrement clarifiée. Mais nous avions espéré, avec la loi, un travail plus efficient dans la prévention et la promotion de la santé et, en même temps, un renforcement et une meilleure reconnaissance des ligues. Nous devons désormais nous fixer de nouveaux objectifs. Actuellement nous accordons la priorité au financement par l’AI, ce qui, à vrai dire, n’est qu’une partie de la solution car, en l’état, seules les personnes avec handicap au sens de la loi sur l’AI peuvent percevoir des allocations.
«Je vois un grand potentiel dans la formation des
patients, non seulement au niveau des personnes concernées, mais aussi à celui des économies de
coûts de santé.»
En outre, l’AI se considère de plus en plus comme une assurance d’insertion et tente de décourager autant que possible les personnes de toucher des allocations. Le financement des ligues est toujours plus difficile, les dons ne suffisent pas. A mon avis, il faut un soutien public. Il s’agit d’une mission de l’Etat, car les ligues fournissent un travail précieux, comme le conseil aux malades chroniques. Personne ne le ferait autrement, car le système de santé est déjà très fortement mis à contribution et parce que les prestations de conseil à des malades chroniques ne sont pas une affaire lucrative. Actuellement, notre tâche centrale est donc de voir dans quelle mesure la législation en vigueur nous permet de poursuivre le travail des ligues et de tout faire pour que les lacunes de la législation soient progressivement comblées.
Etes-vous en concurrence avec les organisations de patients?
Les ligues de patients sont entre de bonnes mains, mais nos ligues ne sont pas des organisations de patients. Personnellement, je ne vois aucune concurrence et je crois savoir que c’est également l’avis des ligues. Mais je ne sais pas si la réciproque est vraie.
Quel est le poids politique de la GELIKO?
L’importance et la reconnaissance de la GELIKO ont nettement augmenté. Il y a quelques années, personne ne savait qui était la GELIKO. Aujourd’hui, nous sommes impliqués par les offices fédéraux et les autres acteurs lorsqu’il s’agit de collaborer à certains thèmes, par exemple eHealth. Nous sommes égalements inclus dans les procédures de consultation et avons des contacts directs avec l’Office fédéral de la santé publique et l’Office fédéral des assurances sociales – souvent en tant que GELIKO, mais parfois aussi via les différentes ligues. Nous essayons toujours de représenter, ensemble, des intérêts communs. Dans les milieux professionnels, nous sommes désormais assez connus, mais le public nous connaît moins. J’ai aussi eu la chance de pouvoir siéger à la commission parlementaire de la sécurité sociale et la santé et de pouvoir représenter les intérêts des personnes touchées par des maladies chroniques. Inversement, j’ai pu informer la GELIKO des évolutions qui touchent ses intérêts. C’est une bonne base de départ pour renforcer le poids politique de la GELIKO.
A l’international, l’empowerment et la formation des patients sont à l’ordre du jour. Qu’en est-il en Suisse?
Pour ce que je peux en juger, la Suisse est encore très en retard dans ce domaine. La ligue pulmonaire et la ligue contre le rhumatisme m’ont dit œuvrer dans cette direction, et je suis convaincue que l’on peut et devrait faire encore plus. Mais je doute encore de l’acceptation politique pour ce type d‘activités, si je pense à ce qui est arrivé à la loi sur la prévention. Toutefois, je vois un grand potentiel dans la formation des patients, non seulement au niveau des personnes concernées, mais aussi à celui des économies de coûts de santé. A mon sens, les organisations de patients sont encore trop fortement dispersées. Il y a de nombreux francs-tireurs et pas encore de lobby fort.
On sait que les offres telles que l’autonomisation des patients atteint surtout les personnes assez favorisées et passent à côté de celles qui en auraient le plus besoin, à savoir les couches de population les moins bien formées, tout simplement parce qu’elles ne comprennent pas de quoi il s’agit. Comment résoudre ce problème?
Lors des délibérations sur la loi sur la prévention il est apparu que certains milieux politiques ne veulent rien changer à l’égalité des chances en matière d’accès à ce type d’offres en prétextant que ce ne serait pas la tâche de l’Etat. J’en suis sortie de mes gonds! Si l’Etat a une tâche, c’est bien celle de ménager l’égalité des chances!
«Certains milieux politiques ne veulent rien changer à l’égalité des chances en prétextant que ce ne serait pas la tâche de l’Etat. J’en suis sortie de mes gonds! Si l’Etat a une tâche, c’est bien celle de ménager l’égalité des chances!»
Il faut poursuivre les efforts pour trouver la meilleure manière d’atteindre ces groupes-cibles. Mais il faut avant tout la volonté politique de le faire. Et je doute qu’elle soit majoritairement présente.
L’Office fédéral des assurances sociales poursuit sa stratégie contre la pauvreté. Mais la question des malades pauvres n’y est pas traitée. Manifestement, la collaboration entre les offices est encore lettre morte. Comment expliquer cette difficulté, en Suisse, de pratiquer une politique multisectorielle?
Question difficile. En politique, la perspective est malheureusement souvent très étriquée, la vue d’ensemble n’est pas encouragée. Manifestement, les choses se passent aussi ainsi dans les offices au sein d’un département. Pour répondre à votre question, il faudrait être vraisemblablement très philosophe. La politique veut des solutions aussi rapides que possible, quitte à limiter leur efficacité à court terme parfois. Il est très difficile de briser ce rythme, et encore plus s’il y a des luttes de pouvoir. L’impulsion devrait venir de l’Administration. Je ne pense pas que la politique y réussisse seule.
Les nouveaux médias et technologies ouvrent de nouvelles voies pour pratiquer la prévention. Y voyez-vous du potentiel pour les ligues de santé? Y a-t-il déjà des exemples de tels projets?
Je ne peux pas vous citer de projets concrets. Mais la GELIKO est ouverte à ces thèmes. Très tôt déjà, j’ai ouvert notre assemblée des membres qui travaillait pour le projet eHealth. Je crois qu’il existe, au sein de la population, une certaine méfiance de fond à l’égard des nouvelles technologies; jouissant d’une crédibilité élevée auprès des patients et des patients, les ligues pourraient jouer un rôle important en faveur de l’acceptation de ces technologies parmi les patient-e-s.
Vous êtes, entre autres, co-présidente du groupe parlementaire des scouts. Quel rôle les organisations de jeunesse peuvent-elles jouer dans la prévention?
Comme toutes les organisations de jeunesse, le scoutisme est prédestiné à faire de la prévention, de part sa grande proximité avec les enfants et les adolescents. J’ai aussi encouragé le comité du mouvement des scouts de Suisse à participer activement à cette discussion en raison du rôle important qu’il pourrait occuper dans la prévention.
En Suisse, les cantons sont souverains en matière de santé. Quelle forme devrait prendre la collaboration entre la Confédération, les cantons et les ligues pour garantir une prévention optimale et un bon traitement des personnes touchées par des maladies chroniques?
La loi sur la prévention aurait été précieuse pour régler clairement les responsabilités de la Confédération et des cantons et pour simplifier la collaboration. Je suis convaincue que la Confédération doit assumer un rôle de leader plus fort à l’avenir dans divers domaines. C’est inévitable à long terme. Je comprends le souhait d’autonomie des communes et des cantons, mais ces structures étroites contredisent tout simplement l’esprit d’efficience. Et cet esprit a, justement dans le domaine de la santé, un poids important car tous recherchent des potentiels d’économie. Les gens ne s’arrêtent pas toujours aux frontières du canton. Pour beaucoup, l’hôpital du canton voisin est plus proche que celui du canton de résidence, pour ne citer qu’un exemple.
Comment expliquez-vous l’échec de la loi sur la prévention?
A mon avis, quelqu’un qui s’est véritablement intéressé à la loi ne peut pas être contre. C’était une pure loi d’organisation, rien d’autre. Mais on a injecté un nombre incroyable d’intentions dans ce projet de loi, en agitant toutes sortes de scénarios de mise sous tutelle par l’Etat et de restriction de la liberté personnelle. Ces scénarios n’avaient aucun fondement, mais ont été mis en exergue de manière récurrente à telle enseigne que le contenu véritable s’est réduit comme peau de chagrin dans le débat. Probablement que de nombreux secteurs économiques craignaient pour leurs chiffres d’affaires. Par ailleurs, les débats sur la protection contre le tabagisme passif ont eu lieu juste avant l’approbation de la loi, ce qui n’était pas très propice. La loi sur le tabagisme passif a attisé encore les craintes, même si son but n’était pas d’interdir de fumer à qui que ce soit – mais ces arguments n’ont pas été entendus partout.
La prévention est-elle le cauchemar du néolibéralisme?
C’est un cauchemar pour les gens qui ont une idée étroite de la prévention. Pour eux, la prévention contredit l’idée de liberté et d’autoresponsabilité. Mais ces personnes ne voient pas que tous n’ont pas les mêmes chances et les mêmes prédispositions à assumer cette autoresponsabilité. Et toute discussion est ici impossible.
Aspirer à l’égalité des chances c’est, dans le fond, vouloir redistribuer les possibilités. C’est peut-être la raison de l’opposition rencontrée par des objectifs tels que la loi sur la prévention?
Je ne pense pas qu’il s’agisse ici de redistribution. Si nous veillons à transmettre davantage de connaissances à quelqu’un, cela ne signifie pas que nous prenons quelque chose à quelqu’un d’autre. Personne n’est lésé! C’est pourquoi je ne comprends pas cette opposition au renforcement des personnes socialement moins favorisées. J’ai beau m’efforcer sérieusement de comprendre l’opinion de mes adversaires politiques, je n’y parviens pas malgré toute ma bonne volonté.
Actuellement, le ténor de la politique de santé suisse semble être «mieux vaut guérir que prévenir». Cette attitude ne dissimule-t-elle pas la crainte de l’industrie de la santé de voir disparaître ses privilèges?
Oui, peut-être que cela a été une des raisons profondes de l’échec de la loi sur la prévention. Je pense que si la question de la redistribution se pose quelque part, ce doit être dans l’industrie de la santé. Il y a des branches qui craignent pour leurs champs d’activité si prévenir prend le pas sur guérir.
Y a-t-il encore de l’espoir pour une loi sur la prévention?
A mon avis, il ne faut pas espérer remettre sur pied quelque chose de semblable ces prochaines années. C’était déjà un deuxième essai. Si ce devait être la cas, l’impulsion devrait venir des cantons qui, cette fois, ont déjà approuvé nettement plus le projet que lors de la première tentative. Ils devraient exiger que la Confédération agisse. Alors, il y aurait peut-être de l’espoir.
Alors, la plate-forme «Dialogue de la Politique nationale de la santé» assume une mission importante entre la Confédération et les cantons?
Oui, c’est évident. Avec notre structure, qui accorde la souveraineté aux cantons, ce dialogue revêt la plus haute importance.
Revenons à la sécurité financière des ligues de la santé: le système d’assurance maladie a atteint ses limites et offre très peu d’aide ici. Pensez-vous que les cantons pourraient vous apporter leur soutien ou s’agit-il légalement plutôt d’un pas vers la responsabilisation des patients?
Comme je l’ai déjà dit, je pense que la Confédération doit prendre davantage de responsabilité. C’est pourquoi je pencherais ici plutôt pour une solution nationale. Pour moi, les maladies non transmissibles devraient être traitées de la même manière que les maladies transmissibles, ce qui n’est pas le cas.
«Il y a des branches qui craignent pour leurs champs d’activité si prévenir prend le pas sur guérir.»
A mon avis, la loi sur la prévention aurait été la même que la loi sur les épidémies, simplement appliquée aux maladies non transmissibles. Personne ne remet en question la loi sur les épidémies qui clarifie exactement ce qu’il faudrait pour les maladies non transmissibles: les compétences, la répartition des rôles, etc. Or, ceux-là même qui adoptent la loi sur les épidémies refusent la loi sur la prévention.
Mais la loi sur les épidémies vise la protection de tiers.
Oui, mais dans le fond il s’agit des mêmes thèmes que dans la loi sur la prévention. Je pense que les maladies, transmissibles ou non, sont de la responsabilité de la Confédération – et donc aussi le financement de leur lutte.
Notre interlocutrice
Silvia Schenker (1954) est Conseillère nationale PS depuis 2003 pour le canton de Bâle-Ville. Elle est membre de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) et de la Commission des institutions politiques (CIP) et, depuis 2006, présidente de la GELIKO Conférence nationale suisse des ligues de la santé. Elle a été, de 2006 à 2008, vice-présidente du PS Suisse.
Après un apprentissage d’employée de commerce, Silvia Schenker a passé un diplôme de travailleur social en 1995. C’est en tant que telle qu’elle a travaillé à l’hôpital Felix-Platter ainsi qu’à la Clinique universitaire psychiatrique de Bâle. Depuis 2011, elle est membre de l’autorité de tutelle de Bâle-Ville. Silvia Schenker habite à Bâle. Divorcée, elle est mère de trois enfants.